Bonjour à tous ;
La voiture « sans chevaux »
La voiture avançait en égrenant un joli chapelet de détonations qui s’amortissaient dans l’étendue. Parfois quelque détonation manquait à l’appel ou bien faisait long feu.
Mon père souriait avec un sang froid que, dans le fond de mon cœur, je jugeais assez remarquable. Il disait :
- Cette voiture peut faire dix huit et même vingt ou vingt deux kilomètres l’heure mais je ne la connais pas encore assez pour lui demander le maximum.
Ah ! Le pavé est mouillé. Moteur admirable, je vous l’ai dit. Le frein malheureusement, ne m’inspire pas la même confiance.
Nous venions de nous engager dans la partie la plus déclive de la côte. La voiture sentait la pente et bondissait de bosses en trous. Mon père saisit le frein dans sa main et murmura :
- Il serait préférable de ne pas prendre le mors aux dents.
Nous avions cessé toute conversation, tels des expérimentateurs au moment critique de l’épreuve. De toutes mes forces je m’agrippais aux poignées et je sentais mes orteils, touchés de vertu préhensible, étreindre le marchepied à travers le cuir de mes brodequins. Mon père murmura d’une voix calme :
- Nous dépassons peut être le 24 ou le 25 à l’heure. Sentez vous le vent de la course ?
Puis il ne dit plus rien, et je pense que nous fûmes, tous, saisis d’une légère angoisse. Devant nous se présentait un petit fossé, un talus modeste, quelques pieds carrés de chaume, enfin le mur d’une propriété, derrière lequel jaunissaient des touffes d’acacia. J’entrevis tout cela dans une sorte d’illumination. Mon père prononça, la voix blanche :
- Je tourne la manette à droite, puisqu’il faut aller à gauche.
J’entendis cette phrase raisonnable, froidement mécanique, et, soudain, la voiture, au lieu de virer sur la gauche se dirigea vers la droite, piqua dans le petit fossé, monta sur le talus, s’allégea, d’un coup de rein
de ses trois passagers et fonça vers la muraille.
Malgré la brutalité du choc, nous nous relevâmes tous trois aussitôt. Je vis mon père courir après son haut de forme, le ramasser, en lisser le poil d’un geste du coude et se tourner vers nous, souriant :
- C’est, dit-il le phénomène du dérapage.
« Vue de la terre promise », Georges Duhamel. Edition Fayard
Amicalement,
Alain.
La voiture « sans chevaux »
La voiture avançait en égrenant un joli chapelet de détonations qui s’amortissaient dans l’étendue. Parfois quelque détonation manquait à l’appel ou bien faisait long feu.
Mon père souriait avec un sang froid que, dans le fond de mon cœur, je jugeais assez remarquable. Il disait :
- Cette voiture peut faire dix huit et même vingt ou vingt deux kilomètres l’heure mais je ne la connais pas encore assez pour lui demander le maximum.
Ah ! Le pavé est mouillé. Moteur admirable, je vous l’ai dit. Le frein malheureusement, ne m’inspire pas la même confiance.
Nous venions de nous engager dans la partie la plus déclive de la côte. La voiture sentait la pente et bondissait de bosses en trous. Mon père saisit le frein dans sa main et murmura :
- Il serait préférable de ne pas prendre le mors aux dents.
Nous avions cessé toute conversation, tels des expérimentateurs au moment critique de l’épreuve. De toutes mes forces je m’agrippais aux poignées et je sentais mes orteils, touchés de vertu préhensible, étreindre le marchepied à travers le cuir de mes brodequins. Mon père murmura d’une voix calme :
- Nous dépassons peut être le 24 ou le 25 à l’heure. Sentez vous le vent de la course ?
Puis il ne dit plus rien, et je pense que nous fûmes, tous, saisis d’une légère angoisse. Devant nous se présentait un petit fossé, un talus modeste, quelques pieds carrés de chaume, enfin le mur d’une propriété, derrière lequel jaunissaient des touffes d’acacia. J’entrevis tout cela dans une sorte d’illumination. Mon père prononça, la voix blanche :
- Je tourne la manette à droite, puisqu’il faut aller à gauche.
J’entendis cette phrase raisonnable, froidement mécanique, et, soudain, la voiture, au lieu de virer sur la gauche se dirigea vers la droite, piqua dans le petit fossé, monta sur le talus, s’allégea, d’un coup de rein
de ses trois passagers et fonça vers la muraille.
Malgré la brutalité du choc, nous nous relevâmes tous trois aussitôt. Je vis mon père courir après son haut de forme, le ramasser, en lisser le poil d’un geste du coude et se tourner vers nous, souriant :
- C’est, dit-il le phénomène du dérapage.
« Vue de la terre promise », Georges Duhamel. Edition Fayard
Amicalement,
Alain.