J'ai tenu à faire une synthèse des notes prises par Michel Vieuchange lors de son périple vers Smara, en 1930. La voici :
Entre le sud Marocain et la Mauritanie s'étend un vaste territoire livré à la seule loi des pillards du désert. La pacification ne dépasse guère les villes d'Agadir ou Tiznit. Jusque là, un seul voyageur, Camille Douls, s'y étant risqué a été massacré par ses guides en 1887. Aucune carte, aucun relevé, tout reste à découvrir. Les caravanes qui vont jusqu'à Tombouctou évitent ces parages où l'eau fait défaut et où l'on peut être attaqué à tout moment. C'est là, au delà de dunes à l'infini, que se situe l'antique Smara.
Smara a été l'œuvre d'un homme au sommet de sa puissance, qui donna une mosquée à ses troupes errantes, fit élever des murs, des kasbas, des coupoles. A sa mort, Smara fut abandonnée et vit ses murs tomber en ruines. C'est là qu'aboutissent les caravanes d'esclaves, d'armes et de trafiquants, détruisant et se moquant de tout, du moment qu'elles sont à l'abri des assaillants et que la vue porte loin dans le désert permettant de voir ceux-ci approcher.
C'est alors que deux frères décident d'aller à la recherche de Smara, mais finalement seul Michel Vieuchange, qui vient de se découvrir une passion pour le désert au cours de son service militaire au Maroc, partira, alors que son frère restera pour essayer d'assurer sa sécurité au cas où il se ferait emprisonner. Aucun blanc n'y est parvenu et lui « le Roumi » tentera cette aventure fort risquée.
Grâce à ses relations avec un grand caïd, il choisira celui qu'il nommera le Mahboul, comme homme de confiance. Ce dernier recrutera les autres voyageurs qui partiront non armés, pour ne pas attirer l'attention. Il y aura deux femmes, son frère Larbi et un homme plus vieux le Chibani auxquels s'ajouteront certains chikhs des villages traversés. Ils n'emporteront que le strict nécessaire, quelques conserves et médicaments, crayons et carnets, montre, boussole et de l'argent pour acheter sur place des complicités.
Au départ, Michel se déguise en femme berbère, étouffant sous ses voiles pendant les grosses chaleurs de la journée, crevant de froid la nuit, tout le temps obligé de surveiller ses attitudes qu'il copie sur les femmes, de se teindre la peau au permanganate, de s'éloigner des autres pour ne pas avoir à parler. Et aussi marcher des heures durant sans se plaindre alors que ses pieds, avec ou sans babouches sur les cailloux coupants de la piste, sont en sang ou devenus des bobos purulents qu'il soigne à la teinture d'iode quand il lui en reste encore. A la merci des autres qui lui donnent à boire ou à manger quand ils le veulent bien, de l'eau souvent fétide, de la chèvre immangeable, de l'orge trempée dans de l'huile d'argan ou des dattes bien dures. Et cela pendant des jours, à chevaucher ânes et dromadaires quand cela est rendu possible tout en écrivant des notes sur ses carnets et en prenant des photos à la sauvette.
Après des jours d'attente dans une chambre d'où il ne peut sortir, assis sur des chiffons emplis de vermine, regardant les maisons de torchis par une minuscule ouverture dans le mur, il a enfin l'espoir de partir vers Smara. Smara est à quelques jours seulement de marche. Il faut payer bien sûr de fortes sommes au chikh du village, le double de ce qu'il avait prévu, et c'est alors le départ.
Il faut marcher la nuit pour éviter de se faire voir, faire de nombreux détours pour éviter des brigands, escalader des montagnes. Michel marche malgré toutes ses souffrances et les épisodes de fièvre due au paludisme. Et puis le chikh qui fait partie de l'expédition ne veut plus continuer et donne le signal du retour. Rien à faire, impossible de lui faire changer d'avis : il veut soigner une simple épine qui lui est rentrée dans le pied !!!
Retour dans la chambre basse pour encore combien de jours ???
Un nouveau départ est programmé, il faut reprendre la marche au travers du désert.
En approchant cette fois de Smara, le risque est grand de rencontrer des hommes des tribus Reguibat, 3000 tentes sont plantées tout près, et s'ils sont découverts, ils seront tués.
Si bien que notre voyageur doit accepter avec humilité d'être transporté dans un couffin comme un vulgaire sac de sucre, où il restera coincé sans bouger de longues heures, le corps ballotté contre les flancs du dromadaire ou des épineux au passage.
Les chameaux s'arrêtent. Michel sort de son couffin et pénètre avec joie dans une bâtisse. Il tire sa montre : il est midi un quart.
« Je pense à Caillié dans Tombouctou animé – moi, c'est la mort. Exaltation qu'il dut éprouver. Pourtant comme sur ton socle tu dois être belle, avec la porte de ta grande Kasba au soleil couchant ! »
« J'approfondis un peu une excavation et là, dans un flacon d'alcool de menthe, je place l'inscription :
« MON FRERE JEAN VIEUCHANGE ET MOI-MËME, MICHEL VIEUCHANGE, FRANCAIS, AVONS EN COMMUN FAIT LA RECONNAISSANCE DE SMARA, CHACUN SE CHARGEANT D'UNE PART DE LA MISE EN OEUVRE, MON FRERE DU SOIN DE ME SECOURIR AU CAS OU, CAPTIF OU BLESSE, JE L'APPELLERAIS, MOI-MËME PENETRANT DANS L'OASIS LE PREMIER NOVEMBRE MIL NEUF CENT TRENTE. ... »
« Je mets un peu de terre et quelques pierres dessus. »
Il ne restera que trois heures seulement à errer dans les ruines à pas pressés. « En pénétrant sous le morceau de plafond en délabrement de ta mosquée, autrefois sainte et pour les prosternations, que je foulais à présent en homme qui simplement veut voir, je sentis une brusque chaleur dans ma poitrine, un mouvement de mon coeur. »
Sur le retour il échappera à la trahison du Chibani, à ceux qui voudraient le prendre en otage contre rançon ou s'en débarrasser en l'étranglant.
Il souffre de dysenterie, brûlé par les fièvres, il arrive enfin à Tiznit où il reçoit les premiers soins à l'infirmerie avant d'être transporté à Agadir.
Et ce sont les retrouvailles entre les deux frères. Michel a juste le temps de raconter son odyssée à un Jean bouleversé, avant de mourir, l'âme en paix, le 30 novembre 1930, à l'âge de 26 ans, trente jours exactement après son suprême bonheur d'avoir atteint son but SMARA, la ville fantôme.
Du 10 septembre au 16 novembre 1930, il aura parcouru près de 1400 kilomètres.
C'est avec une grande émotion que nous lisons aujourd'hui ses notes qui nous montrent que la ténacité , le courage et la volonté peuvent arriver à pousser l'homme au delà de ses limites.
Source : Smara , carnets de route d'un fou du désert par Michel Vieuchange. Editions Phébus
À lire également : L’ultime désert, Antoine de Meaux, Editions Phébus.
Entre le sud Marocain et la Mauritanie s'étend un vaste territoire livré à la seule loi des pillards du désert. La pacification ne dépasse guère les villes d'Agadir ou Tiznit. Jusque là, un seul voyageur, Camille Douls, s'y étant risqué a été massacré par ses guides en 1887. Aucune carte, aucun relevé, tout reste à découvrir. Les caravanes qui vont jusqu'à Tombouctou évitent ces parages où l'eau fait défaut et où l'on peut être attaqué à tout moment. C'est là, au delà de dunes à l'infini, que se situe l'antique Smara.
Smara a été l'œuvre d'un homme au sommet de sa puissance, qui donna une mosquée à ses troupes errantes, fit élever des murs, des kasbas, des coupoles. A sa mort, Smara fut abandonnée et vit ses murs tomber en ruines. C'est là qu'aboutissent les caravanes d'esclaves, d'armes et de trafiquants, détruisant et se moquant de tout, du moment qu'elles sont à l'abri des assaillants et que la vue porte loin dans le désert permettant de voir ceux-ci approcher.
C'est alors que deux frères décident d'aller à la recherche de Smara, mais finalement seul Michel Vieuchange, qui vient de se découvrir une passion pour le désert au cours de son service militaire au Maroc, partira, alors que son frère restera pour essayer d'assurer sa sécurité au cas où il se ferait emprisonner. Aucun blanc n'y est parvenu et lui « le Roumi » tentera cette aventure fort risquée.
Grâce à ses relations avec un grand caïd, il choisira celui qu'il nommera le Mahboul, comme homme de confiance. Ce dernier recrutera les autres voyageurs qui partiront non armés, pour ne pas attirer l'attention. Il y aura deux femmes, son frère Larbi et un homme plus vieux le Chibani auxquels s'ajouteront certains chikhs des villages traversés. Ils n'emporteront que le strict nécessaire, quelques conserves et médicaments, crayons et carnets, montre, boussole et de l'argent pour acheter sur place des complicités.
Au départ, Michel se déguise en femme berbère, étouffant sous ses voiles pendant les grosses chaleurs de la journée, crevant de froid la nuit, tout le temps obligé de surveiller ses attitudes qu'il copie sur les femmes, de se teindre la peau au permanganate, de s'éloigner des autres pour ne pas avoir à parler. Et aussi marcher des heures durant sans se plaindre alors que ses pieds, avec ou sans babouches sur les cailloux coupants de la piste, sont en sang ou devenus des bobos purulents qu'il soigne à la teinture d'iode quand il lui en reste encore. A la merci des autres qui lui donnent à boire ou à manger quand ils le veulent bien, de l'eau souvent fétide, de la chèvre immangeable, de l'orge trempée dans de l'huile d'argan ou des dattes bien dures. Et cela pendant des jours, à chevaucher ânes et dromadaires quand cela est rendu possible tout en écrivant des notes sur ses carnets et en prenant des photos à la sauvette.
Après des jours d'attente dans une chambre d'où il ne peut sortir, assis sur des chiffons emplis de vermine, regardant les maisons de torchis par une minuscule ouverture dans le mur, il a enfin l'espoir de partir vers Smara. Smara est à quelques jours seulement de marche. Il faut payer bien sûr de fortes sommes au chikh du village, le double de ce qu'il avait prévu, et c'est alors le départ.
Il faut marcher la nuit pour éviter de se faire voir, faire de nombreux détours pour éviter des brigands, escalader des montagnes. Michel marche malgré toutes ses souffrances et les épisodes de fièvre due au paludisme. Et puis le chikh qui fait partie de l'expédition ne veut plus continuer et donne le signal du retour. Rien à faire, impossible de lui faire changer d'avis : il veut soigner une simple épine qui lui est rentrée dans le pied !!!
Retour dans la chambre basse pour encore combien de jours ???
Un nouveau départ est programmé, il faut reprendre la marche au travers du désert.
En approchant cette fois de Smara, le risque est grand de rencontrer des hommes des tribus Reguibat, 3000 tentes sont plantées tout près, et s'ils sont découverts, ils seront tués.
Si bien que notre voyageur doit accepter avec humilité d'être transporté dans un couffin comme un vulgaire sac de sucre, où il restera coincé sans bouger de longues heures, le corps ballotté contre les flancs du dromadaire ou des épineux au passage.
Les chameaux s'arrêtent. Michel sort de son couffin et pénètre avec joie dans une bâtisse. Il tire sa montre : il est midi un quart.
« Je pense à Caillié dans Tombouctou animé – moi, c'est la mort. Exaltation qu'il dut éprouver. Pourtant comme sur ton socle tu dois être belle, avec la porte de ta grande Kasba au soleil couchant ! »
« J'approfondis un peu une excavation et là, dans un flacon d'alcool de menthe, je place l'inscription :
« MON FRERE JEAN VIEUCHANGE ET MOI-MËME, MICHEL VIEUCHANGE, FRANCAIS, AVONS EN COMMUN FAIT LA RECONNAISSANCE DE SMARA, CHACUN SE CHARGEANT D'UNE PART DE LA MISE EN OEUVRE, MON FRERE DU SOIN DE ME SECOURIR AU CAS OU, CAPTIF OU BLESSE, JE L'APPELLERAIS, MOI-MËME PENETRANT DANS L'OASIS LE PREMIER NOVEMBRE MIL NEUF CENT TRENTE. ... »
« Je mets un peu de terre et quelques pierres dessus. »
Il ne restera que trois heures seulement à errer dans les ruines à pas pressés. « En pénétrant sous le morceau de plafond en délabrement de ta mosquée, autrefois sainte et pour les prosternations, que je foulais à présent en homme qui simplement veut voir, je sentis une brusque chaleur dans ma poitrine, un mouvement de mon coeur. »
Sur le retour il échappera à la trahison du Chibani, à ceux qui voudraient le prendre en otage contre rançon ou s'en débarrasser en l'étranglant.
Il souffre de dysenterie, brûlé par les fièvres, il arrive enfin à Tiznit où il reçoit les premiers soins à l'infirmerie avant d'être transporté à Agadir.
Et ce sont les retrouvailles entre les deux frères. Michel a juste le temps de raconter son odyssée à un Jean bouleversé, avant de mourir, l'âme en paix, le 30 novembre 1930, à l'âge de 26 ans, trente jours exactement après son suprême bonheur d'avoir atteint son but SMARA, la ville fantôme.
Du 10 septembre au 16 novembre 1930, il aura parcouru près de 1400 kilomètres.
C'est avec une grande émotion que nous lisons aujourd'hui ses notes qui nous montrent que la ténacité , le courage et la volonté peuvent arriver à pousser l'homme au delà de ses limites.
Source : Smara , carnets de route d'un fou du désert par Michel Vieuchange. Editions Phébus
À lire également : L’ultime désert, Antoine de Meaux, Editions Phébus.
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Dernière édition par Michèle BEC le 29.10.09 11:25, édité 1 fois